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Publier les cahiers des soldats, Jules Bignon évoque les grottes de l'Aisne en 1917

 

Publier les carnets des soldats

Jules BIGNON entre avril et septembre 1917 évoque les "grottes" de l'Aisne dans ses carnets détenus par son petit-fils, champignonniste en carrière justement

Extraits du carnet de route de Jules BIGNON (né le 07/04/1889)  commencé le 25 aout 1914 dont nous reproduisons ici les pages 20 et 21 concernant l’Aisne et le passage dans les « grottes » avec l’aimable autorisation de son petit-fils Julien, champignonniste au Chemin des Dames, et son épouse, qui possèdent la copie de 23 pages du manuscrit originel encore détenu dans la famille. Julien vit depuis 5 ans dans la propriété qui comporte la carrière où s’abrita bien certainement son grand-père en 1917.

Jules Bignon (sur droite) lors d'une permission à Lyon retrouve sa famille

 

Avril 1917 – Nous sommes dans l’Aisne, attaque du moulin de Laffaux. Nous bivouaquons sous les bois de Bray Saint Christophe. Je fais plus de 100 km pour aller au courrier, obligé de bivouaquer sur le bord des routes pour revenir aux échelons. Rouchon et moi nous tenons le coup étant isolés en mangeant des pissenlits en salade au cours de notre route.

Mai, juin 1917 – Nous sommes dirigés vers le Chemin des Dames. Notre bivouac est à Serval. Les batteries sont à Cuissy Geny.

Ce secteur était très mouvementé, le passage que je faisais chaque jour aux batteries était sujet à beaucoup d’émotions au point qu’ayant pu obtenir ma permission du Commandant Marchat, aucune liaison pratique était faisable avec le P.C. du Colonel qui se trouvait aux grottes marocaines, j’ai pu m’y rendre après beaucoup de péripéties et obtenir cette fameuse signature. De retour dans la nuit aux batteries qui logeaient dans les grottes de Paissy. Mes camarades m’ont gâté par un bon dîner. Chacun me remettant du courrier que je me proposais, soit de distribuer directement ou de mettre dans les boîtes de l’arrière. Mon départ des grottes le lendemain matin à 6h fut difficile. Un harcèlement de 77 ou de 105 et de 150 en interdisait la sortie, la grotte où j’avais mis mon cheval était à moitié écroulée et entre deux salves, je me suis éclipsé en vitesse….tandis qu’à 8 heures, les grottes s’écroulaient sur 33 de mes camarades qui y sont restés. Des obus de rupture étaient venus à bout de leur solidité. Ma permission m’a fait passer à Paris où dans la nuit j’ai pu trouver une chambre dans un hôtel particulier, une splendeur. Cet hôtel appartenait à un comte ! J’ai pu y prendre un bain, j’avais des poux et m’en suis débarrassé (en bourrant mon linge sale dans mon sac). Le lendemain de mon arrivée à Lyon, j’ai appris par un camarade qui arrivait du front, la catastrophe de mon groupe. Mon camarade vaguemestre au 3ème groupe tué en montant aux batteries et ma 3ème batterie engloutie dans les grottes avec le major Champon. Quel flair avais-je eu d’avoir pu partir en permission malgré que tout s’opposait à ce que je l’aie, ce jour-là.

 
Mai, juin, juillet 1917 – Nous sommes remontés dans la Somme, secteur de Mondidier puis nous sommes dirigés sur le secteur de Chauny.

Juillet 1917 – Nos batteries ont autour du fort de Liez. Secteur demi-tranquille. J’ai demandé au commandant d’être relevé de mes fonctions de vaguemestre. Isolé comme je l’étais pour m’alimenter, mon estomac refusait le maigre camembert de tous les jours. J’ai été versé à la 3ème batterie, 6ème pièce, où je pouvais enfin manger chaud à peu près régulièrement. J’en avais assez de faire le vaguemestre dont j’assurais le service depuis 3 années sans arrêt.

Août, septembre 1917 – Nous sommes dans l’Aisne, secteur de Crécy-au-Mont. Les batteries sont de l’autre côté du canal de l’Aisne. Le bivouac est situé dans les bois du Paradis, nous sommes voisins du château de Coucy (rasé par les Boches).

Novembre, décembre 1917 – Avons été en Champagne au camp des Sarrazins. Nous avons subi cette fameuse grippe espagnole, genre de choléra. Isolés pendant 40 jours dans le camp de Maïr, nous avons tous été malades. Je buvais du rhum en quantité et j’ai fini par passer à travers cette épidémie. Puis dirigés vers Brienne le Château, en repos. Nous y avons passé 2 mois environ pour être dirigés vers le Nord en Belgique.

Janvier 1918 – Nous avons été dirigés sur l’Alsace, même secteur qu’en 1916, pour reprendre des forces, puis expédiés en Belgique au Kemmel.

Mars, avril 1918 – Nous avons été la première division française qui a reçu le premier choc allemand, offensive sur Dunkerque. Nos batteries sont installées à Loère au pied du Kemmel et nous avons notre bivouac à Reningesest. Nous avons été dans un secteur terriblement bombardé, l’intensité du feu était plus violente que les plus violents de Verdun. De notre côté, nous avions 8 lignes parallèles d’Artillerie qui faisaient du tir de zone ! Comme les Boches d’ailleurs – une débauche d’obus fantastique, nous y sommes restés 20 jours environ. Nous étions à bout de forces. Les ravitaillements en obus se faisaient, hommes et chevaux avec les masques à gaz, ce fut une véritable époque héroïque pour toutes les unités en ligne. Nous avons réembarqué en plein champ, les gares étaient constamment bombardées. Nous portions les chevaux pour les faire entrer dans les wagons, n’ayant pas de quai d’embarquement. Nous étions tous à bout de force.

Mai, juin 1918 – Dans la région de la montagne de Reims, nous avons subi de grosses pertes – nous étions devant Gueux en position dans le secteur du Château de Cormentreuil où pendant un ravitaillement d’obus j’ai trouvé une entrée cachée derrière un if, d’un souterrain que par curiosité j’ai exploré muni de ma lampe électrique. Un monceau de bouteilles de champagne était enfoui dans ces caves. De faire la chaîne avec mes hommes pour remplir nos sases d’armon fut de suite décidé. Nous en bûmes autant que nous en avions apporté jusqu’à nos chevaux que ce vin avait soûlé !! Ensuite relevés par les Italiens qu’il a fallu reprendre ; ceux-ci avaient été terriblement sonnés après notre départ. Repérés par les saucisses boches par leurs feux de bivouacs qui étaient défendus. Ceux-ci ont vite compris leur bêtise.

Juillet, août 1918 – Dirigés dans un secteur de tranchées abandonnées par les Boches, devant Mont Cornillet. Puis nous avons été conduits en avant de Reims. Secteur devant Vouziers, à Saint Germainmont.

Nous sommes restés jusqu’au 9 novembre. A la veille de l’Armistice. Les 10 derniers obus de la guerre sont tombés dans notre bivouac et nous ont tué 23 chevaux et deux autres sur notre abri que nous avions fait sur le bord de la route. Une grosse porte de grange nous servait de toit, sur lequel nous avions mis un mètre de terre. L’obus avec sa fusée IA pour terrain fangeux avait explosé sur toute la terre sans pénétrer, heureusement pour nous, et ce fut notre dernier obus reçu de cette guerre qui heureusement finissait. Ceci se passait vers 2 h et demi du matin.

Jules Bignon au front en 1916

Jules Bignon au front en 1916 (cliché pris à Lunéville)

 
Ces écrits de Jules Bignon sont confortés par les récits des historiques régimentaires concernant le 54e RAC.

54e RAC – 1ère batterie – Paissy – 20 mai 1917

 

15 mai 1917 : la batterie fait un tir de barrage à 18 heures 30. Même position – tir de réglage.

16 mai 1917 : Même position. Tir de réglage à 19 heures 15. Barrage.

17 mai 1917 : Tirs de barrage à 14 heures 50, 19 heures 25 et 22 heures 10.

18 mai 1917 : à 9 heures 30, tir de représailles sur Neuville. Barrages

19 mai 1917 : Dans la nuit du 18 au 19, tir de harcèlement sur le pont 736. Tirs de barrage et de représailles.

20 mai  1917 : à 0 heures 10 un tir de barrage demandé par fusées est exécuté. Dans la nuit, le ravin de Paissy est violemment bombardé par obus à gaz. Au cours d’un bombardement par obus de gros calibre (3 pièces de 210 tirant des obus de rupture) auquel sont soumises les 3 batteries du groupe. La batterie subit les pertes ci-après, dans les circonstances énumérées plus loin :

Le canonnier conducteur est tué ;
Les canonniers servant Giroud, Damian, Meilan et Samouillet (ces deux derniers de l’équipe téléphonique du groupe) sont blessés et évacués.
De 5 heures 15 à 9 heures notre infanterie demande le barrage sans arrêt. La batterie exécute 13 (treize) barrages successifs.

A 7 heures, la 2e batterie, prise à partie par une batterie allemande de 210, a un canon mis hors de service. Un autre cesse de tirer par incident de tir (douille coincée). Le barrage de la 2e est alors assuré par moitié entre 1ère et 3e batteries.

Vers 9 heures 30 la 3e batterie étant violemment bombardée par 210, un abri s’écroule ensevelissant l’aspirant Valabrègue. On le retire inanimé.

Il est transporté dans une grotte, où le médecin aide major de 2e classe Champon, aidé du brancardier François de la 1ère batterie, va lui donner ses soins. Dans cette grotte, se trouvent également 23 servants ou brancardiers des 2e et 3e batteries. A 9 heures 45, de nouveaux éboulements produits par des 210 de rupture, obstruent complètement l’entrée de la grotte.

Le chef d’escadron ordonne que tout le personnel disponible travaille au déblaiement.

A la demande du capitaine Lescher, le maréchal des logis Mallein, le brigadier de tir Barbier et les canonniers Mordin, Collombet, Million, Pierry, Bissay, Dufour, Giroud s’offrent spontanément pour secourir leurs camarades ensevelis. Le tir allemand continue. Un obus tombe à proximité des travailleurs tuant le 2e conducteur Onéto, et blessant le sergent Giroud, les téléphonistes Meilan et Samouillet de l’équipe téléphoniste de groupe et le brancardier Damian. Le médecin aide major Champon et le brancardier François ne peuvent être dégagés ce jour. A 16 heures, la batterie reçoit l’ordre d’effectuer un tir de concentration sur le sabot de Baja, à raison de 200 coups à l’heure. Ce tir est exécuté malgré la recrudescence du bombardement ennemi, dont l’objectif est maintenant la 1ère batterie.

A 19 heures, la batterie fait un tir de barrage sur le chemin creux venant de la Pompe. Un tir d’interdiction de 1 coup par pièce-minute succède immédiatement et dure jusqu’à vingt heures.

21 mai 1917 : même position. A 3 heures 30 barrage demandé par fusées. Le tir allemand sur le groupe continue. Vers 16 heures, le capitaine Lescher, appelé par le chef d’escadron est blessé, en passant à hauteur de la 2e batterie, par les éclats d’un obus de 15 ( ?) percutant sur le chemin. Il est immédiatement évacué. Le sous-lieutenant Cuisinier prend le commandement de la batterie. Le groupe devant changer de position, la batterie est relevée de sa mission de barrage à compter de 18 heures.

22 mai 1917 : même position. A 4 heures la batterie se déplace et s’installe dans un chemin creux vers 7187. A 10 heures, les corps des 24 disparus, dont le médecin aide major Champon et le brancardier François sont retrouvés.

54e RAC – 2e batterie – Paissy – 20 mai 1917

14 mai 1917 : de 9 heures à  11 heures le groupe est soumis à un bombardement par une batterie de 210 tirant de la ??? et le prenant presque d’enfilade. Aucun dégât à la batterie. A 21 heures la 2e section relève dans les mêmes conditions que la précédente. Pas d’incident.

15 mai 1917 : réglage par pièce sur le but auxiliaire (casemate de gauche de la batterie 6526). Mission de barrage en avant de la tranchée Baja s’étendant à 50 mètres à gauche de celle-ci. Pendant la nuit, le ravitaillement en munitions se trouve pris par un tir de harcèlement ennemi. 2 hommes blessés, 2 chevaux tués.

16 mai 1917 : réglage et installation.

17 mai 1917 : la batterie pendant la nuit exécute un tir de représailles dans la zone du barrage. Les Allemands arrosent Paissy, le ravin et le dessus des falaises avec du 150 et  du 105.

18 mai 1917 : toute la journée les Allemands bombardent les environs de l’église de Paissy et le fond du ravin. Toute la nuit la batterie exécute un tir de harcèlement sur le pont de l’Ailette 6736. Harcèlement ennemi autour de la position.

19 mai 1917 : La batterie change son barrage et exécute un réglage avec la première pièce. Rien de particulier à signaler pendant la journée. Aux environs de 24 heures, les Allemands déclenchent un violent bombardement d’obus lacrymogènes dans le ravin de Paissy.

20 mai 1917 : à 0 heure 30, la batterie à la demande de l’infanterie déclenche un barrage. Les Allemands bombardent les 1ères lignes. A 5 heures moins 20, l’infanterie demande le barrage. Il ne cesse pas jusqu’aux environs de 8 heures 30. Pendant ce temps les batteries du groupe sont soumises à un violent bombardement de 150.  A 8 heures, une batterie de 210 prend le groupe à partie. Un obus tombant sous la 1ère pièce la projette à une dizaine de mètres de son emplacement. Le personnel de cette pièce s’étant abrité n’a pas de mal. Les autres pièces continuent à tirer. A 8 heures 40 un 210 tombe entre la 3e et la 2e pièce et détruit le dépôt de munitions. Le tir de la batterie continue à raison d’un coup par pièce et par minute. A 9 heures 30, le tir allemand redouble d’intensité. A 10 heures environ la batterie apprend que la 3e batterie est ensevelie sous les grottes. Une équipe de travailleurs constituée par le maréchal des logis Marchi et les servants de la 1ère pièce partent à son secours. Au bout d’une demi-heure le maréchal des logis Marchi revient seul, il lui manque deux hommes, les canonniers Mérendet de Monturasson  ensevelis pendant le travail de secours par un obus de gros calibre. Le maréchal des logis lui-même…..

Extraits des JMO du 54e RAC, 1ère et 2ème batteries, Paissy, 20 et 21 mai 1917 et citation du 8 juin 1917
                                                                                    

Le 8 juin 1917

Extrait de l’ordre n° 481 portant citation à l’ordre de l’armée.

Le général Maistre, commandant la 6e Armée cite à l’ordre de l’armée,

Le personnel des batteries de tir du 1er groupe du 54e Régiment d’Artillerie de Campagne.

Sous le commandement du Chef d’Escadron Marchat, des Capitaines Lescher et Brousseaud, du Sous-Lieutenant Faure, a été soumis toute la journée du 20 mai 1917 à un bombardement violent de 210 qui a effondré une grande partie des grottes servant d’abris, et qui a enseveli 36 hommes sous les décombres dès le début de la journée. N’en a pas moins continué, grâce au dévouement et au courage de tous  à assurer les différentes missions qui lui ont été confiées quoique chacun de ses tirs lui attirât immédiatement une recrudescence du bombardement ennemi.

                                                                                              Au Q.G. le 8 juin 1917

                                                                                              Le Général Maistre, commandant la 6e Armée

                                                                                                              Signé: Maistre

Pour copie conforme: Le Lieutenant-Colonel Kauffer, commandant provisoirement l’ AD 28

                                                                                                              Signé:  Kauffer

 

 

Les graffitis des carrières de Paissy

Dans la carrière des graffitis référencent des unités telles le 36e RI ou le 45e BCP qui sont en effet elles aussi passées sur le secteur en 1917. Pas de trace du 54e RAC à ce jour.

 

La référence à l'effondrement des creutes de Paissy en mai 1917  peut, par exemple, se retrouver dans la mention de soldats décédés.

Ainsi en va-t-il pour Paul Raymond Agranier.


Maître pointeur - Armée française
Mort pour la France

Date du décès: Dimanche 20 Mai 1917
Lieu du décès (commune): Paissy
Lieu du décès (département): Aisne
Circonstances du décès: le régiment est soumis toute la journée à un bombardement violent de 210 qui effondre une grande partie des grottes servant d'abris et qui ensevelit 36 hommes sous les décombres dès le début de la journée.

cité dans: http://www.memorial-chemindesdames.fr/pages/fiche_soldat.asp?soldat_id=113141

 

La référence à Paul Raymond Agranier suscite un prolongement impressionnant en 2018

 Un commentaire d'une lectrice en mars 2018, Joëlle Unal, descendante du soldat décédé dans l'effondrement des carrières de Paissy, nous permet de compléter l'article grâce à ses apports.

*

RP Agranier, 54ème Régiment d’Artillerie de Campagne (archives familiales)

Fiche Mémoire des Hommes de Paul Raymond Agranier, mentionnant son décès à Paissy  le 20 mai 1917

Détail de la fiche matricule de Paul Raymond Agranier, mentionnant "tué à l'ennemi le 20 mars 1917 au combat de Paisy (Aisne)"

 

REACTIONS :

Merci pour votre réponse.
Comme vous le dites si bien, un siècle après, les liens subsistent.
Je vous envoie le peu de photos que je possède et quelques petites explications les illustrant. Nous avions les lettres qu'il échangeait avec sa famille. Malheureusement, un incident fâcheux nous en a privé.
Je vous avoue être troublée par le récit que fait votre association de ses derniers instants. Pour nous, il avait été gazé dans cette carrière.
Merci pour le travail et le respect que vous portez à ces valeureux combattants.
Cordialement. Joëlle Unal
 
Votre commentaire nous conforte dans l'idée que oui les familles tissent toujours les liens 100 ans après!
Auriez-vous des photos de votre ancêtre, des précisions, que nous puissions les ajouter à la page?
ICM

Bonjour,
Je suis très émue à la lecture de votre article.
Je suis une petite nièce de Paul- Raymond Agranier et la seule "survivante" de la famille Agranier. Mon grand-père était le frère de Paul-Raymond, blessé lui aussi grièvement à Verdun . Il m'avait beaucoup parlé de son frère mais, nous ignorions tous les détails que vous nous révélez.
Merci !
Après la guerre, mes arrière-grands-parents avaient fait rapatrier le corps dans notre caveau à Valence. Je suis vraiment heureuse de savoir tout cela, même après tant d'années !
Joelle UNAL

Bonsoir,
C'est avec plaisir que j'ai relu le texte et vos commentaires!
Je vous joins une photo de mon grand-père au front en 1916, ainsi qu'une lors d'une permission sur Lyon avec sa famille.
Bonne réception,
Julien

Bonsoir,
Heureux de voir que les mémoires de mon grand-père puissent susciter de l'intérêt pour d'autres que moi!
Un grand merci à votre association et à ses membres pour leurs passages et leurs explications sur cet épisode dans notre région.
Au plaisir de se revoir ;)

Bonsoir,
suite à votre coup de fil de ce matin, je vous poste le scan complet du document en ma possession.
Au plaisir de se revoir,
Julien

 

Valoriser les acteurs historiques, la venue du descendant du Maréchal Foch


Matthieu Lesbre, arrière-arrière-arrière petit-fils de Ferdinand Foch, Maréchal de France (1851-1929)

Matthieu Lesbre  (ici à gauche) après l'inspection des installations sur le site de Confrécourt.

Jean-Luc Pamart et Matthieu Lesbre évoquant la mémoire familiale portée par Mme de Saint-Viance.

La coordination des  travaux de défrichage du site avec les chefs d'escouade des Scouts.

Une mini-interview improvisée le 8 juillet 2016.       

Comment ne pas courir vers le camp de scouts établi dans la ferme de Confrécourt en cette matinée du 8 juillet 2016, quand Jean-Luc Pamart glisse  aux membres de Soissonnais réunis au bureau qu’il vient d’apprendre, la veille, une incroyable nouvelle ?

Dans le rassemblement des Scouts d’Europe venus de Carcassonne (Troupe 1ère Carcassonne,   Groupe St Michel - Languedoc Roussillon) un jeune homme lui a glissé une petite donnée interpellante dans le creux de l’oreille :

 «Je suis le descendant de Foch».

Nous sommes ravis, une fois de plus, l’association / les sites préservés sont le prétexte à des rencontres fortes.

Nous discutons donc avec Matthieu Lesbre et obtenons son accord pour ce petit article.

Nous apprenons que la mémoire de Foch est portée par la grand-mère de Matthieu. Nous avons donc la chance de cotoyer le descendant âgé de 18 ans, à la 5è génération du Général en chef des armées du front de l’Ouest.

Matthieu Lesbre, domicilié dans le Sud de la France, foule, lui, aujourd’hui pour la 1ère fois un site marqué par la Grande Guerre. Il nous parle des souvenirs conservés par sa famille (une autobiographie, une statue, un tableau sont entre autres au rang des citations), du fait que le dernier militaire était son propre arrière-grand-père, que le nom de Foch était encore porté par sa grand-mère (Mme Fournier Foch) avant son mariage…

Matthieu Lesbre se rendra pendant son séjour dans l’Aisne sur les sites de Rethondes, dont l’église où le Maréchal Foch,  généralissime des forces alliées en 1918, artisan de la victoire, s’est  recueilli la veille de la signature de l’armistice et a assisté à la messe.

Cette rencontre nous permet enfin de toucher la possibilité de voir aboutir nos invitations aux cérémonies du Centenaire de 2018.

 

Analyser les documents historiques, l'inspection du 11 mars 1915, deux généraux, Maunoury et Villaret, blessés par une balle allemande dans la tranchée Poncet à Vingré


Analyser les documents historiques est une des activités durables des membres de l'association
 

L'inspection du 11 mars 1915, deux généraux, Maunoury et Villaret, blessés par une balle allemande dans la tranchée Poncet à Vingré, tout près de l'entonnoir de mine Maunoury

 
Louis Cattois du 42e RI, témoigne de cette inspection. Lisons son récit qui nous détaille l'évènement et insiste délicatement, sans coup de griffe aux chefs, sur la présence du tireur d'élite allemand. Il évoque la connaissance pratique des soldats, vigilants aux créneaux du parapet et fins connaisseurs des oeilletons ouverts et fermés.

Le 11 mars 1915, vers 4 heures de l’après-midi, par une belle journée ensoleillée, je revenais de régler une mitrailleuse pour effectuer un tir indirect sur le ravin de Morsain. J’aperçus dans l’entonnoir un groupe assez nombreux débouchant du secteur du régiment voisin. Je m’approchai rapidement et me trouvai en présence du général Maunoury, commandant la VIe armée, en compagnie du général de Villaret, commandant le 7e corps, venus là en quête d’un terrain d’attaque pour une opération ultérieure. Ils étaient accompagnés de deux ou trois officiers d’ordonnance, dont un chef d’escadrons de chasseurs à cheval, portant une superbe et impeccable tunique bleu ciel, qui tranchait étrangement sur nos capotes bleu foncé, pleines de boue, nos képis couverts de manchons bleus et nos pantalons rouges dissimulés par des fourreaux bleu sale. Je me présentai, un peu sidéré de me trouver brusquement, moi, tout jeune sous-lieutenant de vingt-deux ans, nez à nez avec de telles « huiles » que je n’avais jamais vues et que je n’identifiais que par leurs étoiles sur les manches de capote et leurs képis à feuilles de chênes. J’expliquai le pourquoi de cet entonnoir et les travaux que nous exécutions. Ils en parcoururent le pourtour extérieur, et, reprenant la tranchée normale, je leur signalai un passage particulièrement dangereux : attention, baissez-vous et passez vite !

Le général de Villaret, qui était en tête, monte sur la banquette de tir, jette un coup d’œil par le créneau et, s’effaçant sur la droite : Oh ! regardez donc, mon général, c’est très intéressant ! Qu’avait-il donc vu de si curieux ? Pour nous, les habitués du coin, rien… Toujours est-il que le général Maunoury regarde et… s’effondre aussitôt !

Le guetteur d’en face a son arme pointée d’avance ; ayant vu notre créneau éclairé s’obscurcir, s’éclairer et s’obscurcir de nouveau, il n’allait pas manquer son coup. Je laisse deviner l’émotion provoquée par la petite troupe : Oh ! ils nous l’ont tué ! s’écria l’un des officiers d’ordonnance. Le général de Villaret qui s’était courbé brusquement, redressait déjà sa haute taille et se faisait un pansement au front avec son mouchoir. La blessure de Maunoury était affreuse : l’œil gauche arraché, ainsi que la joue et le maxillaire supérieur broyé. On a retrouvé la joue collée sur un piquet. Je me précipitai au téléphone pour alerter le chef de bataillon, le médecin auxiliaire du premier poste de secours et les brancardiers. Villaret était resté très crâne, à tel point que nous le croyons seulement écorché, alors qu’il dut être trépané. Les deux généraux ont été blessés par la même balle allemande qui, en frappant le créneau, s’est dédoublée. On pense qu’il s’agissait d’une balle retournée dans sa douille, car les Boches étaient assez coutumiers du fait.

Les premiers pansements terminés, on se mit en marche à travers les boyaux vers le poste de secours, aussi rapidement que possible, car les Allemands, sans savoir quoi, n’étaient pas sans avoir entendu qu’il s’était passé quelque chose et redoublaient l’intensité de leur tir de minnenwerfer. En avant marchait le « toubib », suivi de deux brancardiers qui portaient Maunoury ; derrière, toujours très droit, de Villaret, puis les officiers d’ordonnance. Enfin, je fermais la marche, portant le képi rouge et or du commandant d’armée, méditant sur l’exemple de ce grand chef, d’autant plus respecté qu’il semblait plus lointain, et qui tombait en première ligne au milieu de ses poilus qui ne l’avaient jamais tant vu, bien qu’il les eût déjà conduits sur l’Ourcq à la victoire, et donnant ainsi à tous un exemple magnifique.

Cependant, la blessure du général Maunoury ne devait pas être mortelle : aucune fièvre ne l’a suivie et le chef de la VIe armée a pu remercier d’un sourire et d’un geste le président de la République, Raymond Poincaré, qui, le lendemain, vint à son chevet pour lui remettre au nom de la France, la Médaille militaire. Il devait mourir aveugle, huit ans plus tard, en 1923, à soixante-seize ans et fut nommé maréchal de France à titre posthume.»

Voir sans être vu et viser l’ennemi sans être pris pour cible, voilà un des points nodaux de la pratique combattante dans les tranchées hors situation d’assaut.

Mettons tout d’abord en regard du récit de Louis Cattois les documents visuels présentant des situations de guet en tranchée, d’observation abritée, de tir protégé avec usage du périscope et d’inspection des tranchées par les chefs militaires. Louis Cattois  a donc fait état d’une interpellante annonce préventive («reprenant la tranchée normale, je leur signalai un passage particulièrement dangereux : attention, baissez-vous et passez vite ! »)… peu suivie d’effet…...

Observateur et tireur sur la banquette d’une tranchée de 1ère ligne française dans l’Aisne (fonds Legrand, archives du Finistère)

Tireur français en position au créneau dans une tranchée de 1ère ligne

Créneaux dans tranchée française profonde de 1ère ligne (1915, Marne, musée de la Grande Guerre)

Soldat français au périscope fournissant ses renseignements observés au tireur à sa droite dans la tranchée profonde de 1ère ligne

(«Deux bons collaborateurs dans la tranchée. Tandis que l'un fait feu, l'autre s'apprête à juger le coup dans le périscope. D’après cette photo prise dans une tranchée de Berry-au-Bac, distante seulement de quinze mètres de la première ligne allemande, on comprend parfaitement la disposition du périscope employé par nos soldats. Deux miroirs plans inclinés à 45° suffisent pour constituer un périscope. Des lentilles paraboliques concaves permettent d'obtenir une vue panoramique. L'observateur est entièrement abrité. Il fournit des renseignements utiles au tireur et lui annonce à mesure les résultats de ses coups.»)

(18 avril 1915, Le Miroir)

Soldat observant au périscope dans une tranchée française profonde de 1ère ligne

(1915, BNF) (cf 28 décembre 1914, Excelsior ci-dessous)

Soldat observant au périscope dans tranchée française profonde de 1ère ligne  (« la guerre des tranchées : le périscope des fantassins ») et croquis présentant les 2 miroirs à l’aide desquels le soldat peut « voir sans être vu »

(28 décembre 1914, Excelsior) (cf photographie 1915, BNF ci-dessus)

Examen au périscope des positions allemandes

(« L’accident dont viennent d’être victimes les généraux Maunoury et de Villaret montre le danger que courent les observateurs sans les tranchées ; pour y parer, on se sert de ce périscope, mal dénommé puisqu’ilne permet de voir que dans une direction. »)

(25 mars 1915, Pays de France)

Général de division examinant au périscope les positions allemandes («L’OEIL DU CHEF»)

(6 août 1915, Excelsior)
 

 Général regardant l’ennemi depuis une tranchée de 1ère ligne

(«Avec un périscope, il observe l’adversaire. Le déplorable accident arrivé il y a quelques mois aux généraux Maunoury et de Villaret, a montré que l'ennemi ne se départit à aucun moment de sa vigilante attention. Il en est de même chez nous du reste, et le moindre point mouvant devient immédiatement une cible. Un périscope, analogue à celui des sous-marins, permet d'observer attentivement les lignes adverses sans s'exposer aux balles.
Le général Franchet d'Esperey est vu ici se servant de cet appareil dans une tranchée de première ligne.»)

(juillet 1915, Le Miroir)

Soldat allemand en cuirasse derrière sa plaque de blindage dans une tranchée

(d’après le tableau de F. Flameng, 1917, musée de l’Armée)

Combattants, observateurs et tireurs se protègent dans les tranchées. Observons leurs plaques blindées pour rendre concrets les détails du récit de Louis Cattois, témoin de la tragique inspection («Le guetteur d’en face a son arme pointée d’avance; ayant vu notre créneau éclairé s’obscurcir, s’éclairer et s’obscurcir de nouveau»).

Plaque française blindée de tranchée, protection individuelle pare-balles placée sur les parapets (bouclier nommé Infanterieschild côté allemand), vue du côté de la tranchée puis du côté ennemi, avec orifice non centré à volet pivotant pour le guetteur / tireur ouvert et fermé.

Les plaques sont de tailles différentes et les plus habituelles, telle celle présentée, oscillent entre 30 cm x 60 cm, 45 cm x 65 cm, voire 45 cm x 75 cm, avec des oeilletons oscillant eux entre 12 cm et 15 cm x 5 cm à 7 cm.

Ces éléments de protection sont ainsi le garant d'insouciants soldats, formidables tireurs, comme les montrent les scènes humoristiques de tranchées.

Carte postale 1917, de Blumenschein, Wie se wuchten (en argot de tranchée, on peut comprendre que ce soldat insouciant commente «Qu'est-ce qu'ils se donnent comme mal, les soldats dans les tranchées!»)

 

 

Tireurs d’élite, faire mouche, une occupation méticuleuse. Plongeons presque dans un récit de témoin en suivant les lignes d’un écrivain canadien contemporain de talent, Joseph Boyden dans Le chemin des âmes (Three Day Road), 2005.

Il met en scène deux chasseurs indiens engagés dans l’armé canadienne s’immergeant dans l’enfer des champs de bataille en France et y déployant des actions de tireurs d’élite. L’auteur s’inspire d’une connaissance factuelle 14-18 aiguisée tant ses descriptions sont par passages celles de reportages:

Sean Patrick est à son poste de tir et c’est Zyeux Gris qui manœuvre la plaque : il la soulève au signal de l’autre et la rabaisse aussitôt le coup tiré. Je les ai déjà vu plus tôt ; je suis surpris de les retrouver cet après-midi.  J’aimerais leur dire de ne pas rester trop longtemps à la même place, sans quoi ils vont se faire repérer ; mais ils le savent aussi bien que moi […] Un aéroplane bourdonne là-haut : je lève les yeux pour m’assurer que c’est un des nôtres, et non un Fritz qui vient nous mitrailler. Je vais à nouveau emplir mes sacs quand j’entends Gilberto appeler au secours. Et je vois Sean Patrick, à dix mètres de moi, qui se tord au sol comme un serpent, les mains serrées sur son cou d’où jaillissent des quantités incroyables de sang, les yeux écarquillés par la terreur du dénouement. Je fonce sur lui. Tout le monde court. (chapitre «Le tireur»)

L’œil rivé à l’oculaire, Elijah et moi guettons du mouvement[…] J’ai le doigt posé sur la détente, l’autre main qui abrite ma lunette […] Il fait assez jour maintenant pour distinguer les détails de la ligne, des sacs de terre […] L’artillerie semble avoir fait mouche : de gigantesques brèches morcellent les parapets, et l’on ne voit toujours rien bouger. Je balaye la tranchée de la lunette, m’efforçant de distinguer quelque chose […]  (chapitre «Le combattant»)

Il y a un gradé qui se montre, mais l’espace d’un instant, tous les matins à l’alerte […] Il fait assez jour pour distinguer les silhouettes. Quand le gris gagne le noir à l’horizon, il pose son doigt sur la détente. Tout comme hier, les têtes des soldats émergent du parapet et, juste derrière eux, un lieutenant paraît, les mains dans le dos, promenant son regard sur la ligne […] Son réticule pointe le front du gradé. L’autre poursuit son inspection, le sourcil froncé. Elijah appuie sur la détente ; le recul de son arme l’empêche de bien voir s’il a fait mouche. (chapitre «Le piégeage»)

Regardons maintenant les photographies des albums du Général de Villaret présentant les lieux de la tragique inspection: l’un des entonnoirs  (dès lors appelé «entonnoir Maunoury») et l’une des tranchées de Vingré dans l’Aisne où les deux généraux en tournée d’inspection furent blessés par la même balle allemande le 11 mars 1915.

L’une de ces photographies a été reproduite en grand nombre et les lieux ont été l’objet des attentions de nombreux photographes  au mois de mars 1915 après l’accident.

Ainsi ces différentes sources vont nous permettre une comparaison.

Photographie des albums du Général de Villaret

issue de la collection de Claire de Villaret présentant en plan large l’entonnoir.

Cette première photographie des albums du Général de Villaret est semblable à celle que reproduira, très légèrement recadrée, la presse de l’époque. A moins qu’elle n’ait été fournie par un journaliste au Général de Villaret.

Photographie parue dans L’illustration du 27 mars 1915 (n° 3760)

 avec la légende «La tranchée de première ligne où furent blessés les généraux Maunoury et de Villaret» et «C’est par la meurtrière, percée dans un bouclier d’acier (sous la flèche tracée au-dessus de notre cliché [sic : flèche non présente dans cette édition]) que les deux généraux observaient les tranchées ennemies, quand une balle allemande atteignit l’œil gauche du général Maunoury, qui tomba, et au front, par ricochet, le général de Villaret, qui put se porter au secours de son chef».

La légende est erronée [cf infra], certes, on y retrouve bien la plaque d'observation [cercle bleu] et la descente vers un abri / la dépression du premier plan où se tient le photographe [cercle jaune].

Le cliché présente le créneau où auraient été blessés les deux généraux.

Figure en haut, presqu’au centre, dans la tranchée reconstruite sur la lèvre supérieure de l’entonnoir de mine après l’explosion,  un soldat qui montre avec son fusil l'orifice d'observation et  la plaque de blindage incriminés.

Figurent en contrebas, dans l’entonnoir lui-même, un groupe de soldats. Figure dans ce groupe un soldat tenant une planche de coffrage et un autre à mi-corps ; ce qui laisse penser à une descente d’abri. D’ailleurs plusieurs abris sont mentionnés sur le plan du secteur [cf infra].

 Il pourrait s’agir de ce type d’abri.

Croquis d’un abri de type normal agrandi exécuté dans le secteur de  Vingré.

En réalité le créneau du drame se trouve ailleurs, dans la tranchée Poncet, à quelques mètres de l’entonnoir Maunoury lui-même.

Photographie de l’entonnoir Maunoury, fonds Victor Jacques Marie Noël Robert des Archives de l’Hérault,  légendée «Entonnoir à 60m des tranchées allemandes (région de Nouvron-Vingré). A 20 mètres sur la droite, créneau devant lequel furent simultanément blessés en mars 1915 le Général Maunoury  commandant la VIe armée et le Général de Villaret commandant le 7e Corps d’Armée».

D’ailleurs la carte  du secteur issue de la collection du Général de Villaret  est en concordance avec cette photographie à la légende rigoureuse stipulant la tranchée comme lieu de l’accident.
 

Extrait [légende ici ôtée] du calque du Général de Villaret cartographiant le secteur et signalant le lieu exact de l’accident du 11 mars 1915. La légende porte mention de la croix rouge et stipule «l’emplacement du 11 mars 1915 où furent blessés les 2 généraux Maunoury et Villaret».

La croix est bien à droite de l'entonnoir, sur la tranchée, là où s’est effectuée l'observation des lignes ennemies par les deux généraux.

N’oublions pas le récit du témoin, le soldat Louis Cattois du 42e R.I. qui confirme bien aussi l’emplacement dans la tranchée.

« Ils en parcoururent le pourtour extérieur, et, reprenant la tranchée normale, je leur signalai un passage particulièrement dangereux : attention, baissez-vous et passez vite !

Le général de Villaret, qui était en tête, monte sur la banquette de tir, jette un coup d’œil par le créneau… » [cf in extenso supra]

Complétons maintenant cette photographie de l’entonnoir avec celles de la tranchée issues elles aussi des albums du général de Villaret. Elles nous révèlent toutes deux, au 14 mars,  le lieu réel de l’accident.

Photographie «II» des albums du Général de Villaret datée  «14 mars 1915» issue de la collection de Claire de Villaret présentant en plan axial la tranchée Poncet.

Photographie «VII» des albums du Général de Villaret datée «14 mars 1915»

issue de la collection de Claire de Villaret présentant en plan axial la tranchée Poncet,, libellée par Etienne de Villaret «inscription placée à l’endroit exact où les généraux ont été blessés».

Que ce soit la photographie «I I» ou la photographie «VII», prises dans l'axe de la tranchée, elles nous révèlent toutes deux que cette tranchée n’est pas l’entonnoir comme en atteste la profondeur ici de la tranchée où le gradé se retrouve sous le niveau du sol naturel des deux côtés, avec un parados  de niveau égal à la crête de feu. Rien à voir avec le cliché reproduit dans L’illustration qui présente la tranchée de bord d’entonnoir avec un semblant de talus de revers engabionné et de hauteur dissymétrique.

En tous cas, remarquons au passage que le gradé ici campé dans la tranchée Poncet est présenté bien plus précautionneux que nos deux Généraux blessés: il regarde au périscope, lui, ou du moins pose pour le photographe en regardant au périscope.

Sur la photographie «II» on devine une plaque de blindage au second plan en fond de tranchée, (faut-il pousser jusqu’à y voir à côté de l’orifice une tache de sang alors que ce ne seraient que des ombres portées ?). Il peut fort bien s’agir de la plaque originelle déposée. Comment ne pas émettre l’hypothèse que le poste d'observation incriminé n’ait pas été supprimé car trop  dangereux? Le maintenir, c’était risquer un nouvel accident.

Sur la photographie «VII » on voit le monument érigé en mémoire de l’accident. Il s’agit en fait d’une plaque. Cette plaque se retrouve en une seconde version, avec un texte légèrement modulé, comme en attestent plusieurs photographies dont celle du 1er juin 1915 du fonds Villaret ou la presse de 1916.

Photographie de la tranchée au 1er juin 1915 des albums du Général de Villaret issue de la collection de Claire de Villaret recueillie pour l’exposition de Vic-sur-Aisne en septembre-octobre-novembre 2015 présentant l’inspection tragique et reconstituant la scène avec plaque de blindage et pierre gravée.

Photographie de la tranchée au 1er juin 1915 des albums du Général de Villaret issue de la collection de Claire de Villaret présentant la version seconde de la plaque.

Photographie du Pays de France du 27 janvier 1916 légendée «Une pierre commémorative a été placée contre la parapet d’une tranchée de première ligne sur le front de l’Aisne : elle marque l’endroit où furent blessés les Généraux Maunoury et Villaret. Nos soldats ont voulu consacrer ainsi le souvenir de la visite que leur avaient faite leurs chefs et qui faillit leur coûter la vie.». Cette photographie présente la plaque commémorative en son premier emplacement.

Photographie de la tranchée présentant la version deux de la plaque commémorative avec le soldat Désiré Vuillard (à droite sur la photo de Vingré). Qui commente au verso de la photographie «Le 11 mars 1915, à 16 heures, le général de Villaret fut grièvement blessé par  la même balle qui atteignit son chef direct, le général Maunoury, alors qu'ils observaient ensemble  les lignes allemandes à travers le créneau d'une des tranchées avancées. Le 30 juin, Désiré envoie une photo/carte postale de lui dans la tranchée, avec le texte suivant : "Je suis photographié avec mon chef  de  section  (le  plus  grand)  et  mes  deux  collègues  sergents,  dans  la tranchée,  à  l'endroit  même  où    Maunoury  et  de  Villaret  furent  blessés par   la   même   balle,   comme   en   fait   foi   la   plaque  commémorative [Souvenir du 11 Mars 1915, 16 heures. My – Vt]". Fonds de la collecte Européana 1914-1918.

Photographies de l’album du soldat E. Brincourt (8e BCP > 48e BCP)  légendée «Plateau de Nouvron 1915-1916. La plaque Maunoury dans les tranchées». Les mots inscrits sur la plaque commémorative sont recopiés sur la gauche da la photographie dans l’album («Souvenir du 11 Mars 1914 [sic : lire 1915], 16 heures,My – Vt») et les deux abréviations sont explicitées «Général Maunoury», «Général Villaret». Archives de la Somme.

Dans les albums du Général de Villaret figurent également d’autres angles de vue de l’entonnoir proche de la tranchée, lieu de l’accident, qui comparées révèlent bien un seul et même entonnoir, l’entonnoir Maunoury, plus aisé à photographier et  à mémoriser car matérialisé plus profondément, plus atypiquement, plus largement et plus matériellement.

Photographie «I» des albums du Général de Villaret datée  «14 mars 1915»

issue de la collection de Claire de Villaret présentant en plan serré de l’entonnoir.

On y retrouve bien les repères pointés supra, la tranchée de lèvre supérieure Nord, les gabions, la descente, la plaque de blindage [ici sur le coin supérieur droit de la photographie].

Photographie des albums du Général de Villaret issue de la collection de Claire de Villaret présentant un second plan large de l’entonnoir.

Ainsi, on peut émettre plusieurs hypothèses sur la légende erronée de L’illustration.

Assez pragmatiquement, une sorte de photographie officielle qui ne correspond pas à l'emplacement réel mais qui permet de ne pas diffuser trop d'indications précises accessibles à l’ennemi.

Très pragmatiquement, une photographie d’un poste d’observation autre, similaire et tout proche, puisque le poste dangereux exact aurait été supprimé.

Très raisonnablement, un cliché plus sensationnaliste qui matérialise plus profondément et tranche avec un emplacement  plus banal de tranchée longiligne.

Tout simplement, une vue plus aisée à saisir, avec recul et en contre-plongée magnifiante alors que l’étroitesse de la tranchée exacte n’aurait pu permettre une prise de vue montant à la fois le créneau de tir exact et l’axiale de la tranchée.

 

Confrontons ces photographies de l’entonnoir Maunoury des collections Villaret à d’autres photographies.

 

Photographies de l’album du soldat E. Brincourt (8e BCP > 48e BCP) légendée  "Plateau de Nouvron 1915-1916." "Archives de la Somme.

 
Les angles de vue ici autres permettent encore plus clairement de bien distinguer l’absence de tranchée en terre à deux bords symétriques et confirment en tous cas l’exactitude du site de l’entonnoir Maunoury. Ces vues rendent en revanche très visibles la banquette de tir / d’observation.

Le lieu est parfaitement identifié et situé  en secteur bouleversé par la guerre des mines. On l’observe très bien depuis Vingré, sur la crête Nord, à proximité de la ferme de Confrécourt.

Entonnoir Maunoury et tranchée Poncet prolongée par la tranchée Marchand, elle aussi bien connue (carte du 14 mars 1917).

Le plan directeur du secteur de Vingré fait encore état au 21 août 1918 des tranchées concernées par l’accident du 11 mars 1915.

Quatre entonnoirs de mine cartographiés par les Français attestent de l’attaque aux mines par les Allemands  de janvier 1915  [la flèche repère rouge pointe l’entonnoir Maunoury].

L’entonnoir Maunoury [la flèche repère rouge le pointe]cartographié par les Français sur le calque du Général de Villaret où figure avec la croix rouge l’emplacement de l’accident.

On retrouve d’ailleurs bien ces tracés, vestiges de la guerre des mines et postes d’observation / tir dans d’autres documents, eux aussi issu du fonds privé du Général de Villaret.

Photographie aérienne des albums du Général de Villaret issue de la collection de Claire de Villaret présentant les doubles tracés des tranchées françaises et allemandes, l’entonnoir du 42e. Non datée

Dessin d’un carnet de croquis offert en juin 1915 au général de Villaret, par le général Lacotte, montrant ici un panorama du secteur de Vingré-Confrécourt en avril, mai et juin 1915, avec la tranchée Marchand voisine (collection particulière Claire de Villaret, document présenté à Vic-sur-Aisne dans l’exposition 1915, les tranchées).

Au fait, le JMO du 7e Corps d’Armée mentionne bien la blessure des deux Généraux le 11 mars 1915, entre deux journées commentées «rien à signaler». L’exercice de rédaction assez neutre  signale bien la gravité de l’évènement («tous deux assez grièvement blessés, d’une même balle, à la tête») mais ne nous transmet pas de détails.

Extrait du JMO du 7e Corps d’Armée mentionnant pour le 11 mars 1915

« Le Général Maunoury, commandant la 6e Armée et le Général de Villaret, commandant le 7e Corps, sont tous deux assez grièvement blessés, d’une même balle, à la tête, au cours d’une visite de tranchées dans le secteur Nord de Vingré.

Le Général Crepey, commandant la 14e Division, prend le commandement provisoire du 7e Corps.

Rien n’y est dit sur le tireur allemand. Il est placé à moins de cent mètres de sa cible («60 mètres» selon le témoignage de Victor Jacques Marie Noël Robert). Le tir sur l'oeilleton était donc à la portée d'un bon tireur (même sans lunette de tir).

La balle dont le  noyau était en plomb a dû toucher le bord de l'orifice, a dû être déviée, probablement déchiquetée, voir cassée, rendant possible de blesser ensemble les deux généraux.

Bien au centre de l'oeilleton, cette balle aurait certainement tué le Général Maunoury et assez peu probablement blessé quelqu'un d'autre.

Rien à voir avec la carte postale très imagée, voire imaginaire, ou en tous cas tout  fait sensationnaliste publiée et inondant les publications en 1915 et 1916.

Carte postale «Les Généraux de MAUNOURY et VILLARET  blessés par la même balle, dans les tranchées de 1ère ligne», éditée par A.N. à Paris

Dans le même registre 2 autres dessins de presse sont tout aussi tape-à-l’œil ! Le second cependant plus vraisemblable que le premier ci-dessous.

Le petit journal illustré du 15 avril 1923 avec la légende «Un grand Français. Un des vainqueurs de la Marne, un de ceux qui décidèrent du sort de la guerre, le général Maunoury, vient de disparaître. Le 15 mars 1915, on s’en souvient, alors qu’il visitait les tranchées de première ligne, une balle allemande avait rendu aveugle le glorieux soldat. En déposant sur son cercueil le bâton de Maréchal de France, le gouvernement a traduit le sentiment de reconnaissance du pays tout entier.»

Outre la légende avec l’erreur de date et l’absence de mention du général de Villaret,  cette une ci-dessus propose un dessin des deux généraux bousculés par la balle, en arrière d’un créneau à l’orifice surdimensionné, lâchant ses jumelles,  dans une tranchée bien évasée au fond bizarrement agrémenté de barbelés. Rien d’inhabituel pour cette presse.

Dessin paru en contre-une du journal italien La domenica del corriere, 28 Mars-4 Avril 1915, légendée "I generali francesi Maunoury e De Villaret rimangono feriti da uno stesso proiettile passato attraverso la feriotia d'una trincea", soit "Les généraux français Maunoury et de Villaret sont blessés par la même balle qui a traversé le créneau d'une tranchée (dessin de A. Beltrame)"

Plus réaliste ce dessinateur a placé un parapet dans une tranchée assez profonde, même si les soldats sont peu présents et un fusil pose seul.

Pour finir, ajoutons au  passage les 4 illustrations que la presse propose  en mars 1915 où les lieux de l’accident ne sont pas mis en écho des évocations textuelles: une manière de représenter, cette fois, qui ne saute donc pas aux yeux!

Une de l’Excelsior du 14 mars 1915

«LES GENERAUX MAUNOURY ET DE VILLARET BLESSES. Nous avons annoncé hier qu’u cours de l’inspection d’une tranchée de première ligne, à trente mètres de l’ennemi, le général Maunoury, commandant une de nos armées, et le général de Villaret, commandant de corps d’armée, avaient été blessés par une balle. Le projectile qui a atteint le général Maunoury lui a enlevé l’œil gauche et brisé le maxillaire. Le général de Villaret qui, avant la guerre, était à la tête de la mission militaire française en Grèce, a été blessé au front. Le président de la République est allé, hier après-midi, rendre visite au général Maunoury et lui a remis la médaille militaire.»

Le miroir du 28 mars 1915

«LE MINISTRE DE LA GUERRE REND VISITE AUX DEUX GÉNÉRAUX BLESSÉS. Grièvement atteints par la même balle, alors que d'une tranchée ils observaient les lignes ennemies par une meurtrière, les généraux Maunoury et Étienne de Villaret ont reçu la visite de M. Millerand.»
 

Une de L’illustration du 20 mars 1915

«Deux chefs blessés en première ligne. Le général Maunoury,  comandant la 6e armée, et le général de Villaret, chef d’un corps d’armée, tous deux atteint à la tête par la même balle allemande derrière un créneau de tranchée.»

Le miroir du 9 Mai 1915

«A PEINE RÉTABLI, LE GÉNÉRAL DE VILLARET EST RETOURNÉ SUR LE FRONT. Blessé grièvement, le 12 mars, le général de Villaret est retourné au front. Le voici près de Choisy-au-Bac, au cours d'une revue. Un pansement indique sa blessure. Il est à droite, au second plan, faisant face à M. Poincaré.»

Avoir les yeux en face des trous... une drôle d’inspection… [des représentations.]

 
Claire, Isabelle, Serge, Michel, Denis, le 8 août 2016

 

Dessin de Francis Macard

Publié dans Zone rouge

(avec l'aimable autorisation de l'auteur)

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