Le drame de Vingé - Les six fusillés - La justice militaire - Le 5 avril 1925 -

 

Le Drame de Vingré

 

Octobre 1914, voilà 3 mois qu'ils ont quitté leur famille et ils sont loin de Berlin. Dans la boue, sans vêtement d'hiver, attaquant sans résultat, et surtout qu'il reste des planqués à l'arrière, le moral baisse. Le général Villaret donne des ordres très fermes: il faut reprendre les troupes en main. Ce sera alors une suite de conseils de guerre convoqués, bien souvent, pour des mobiles futiles...

Une blessure à la main droite causée par une balle ennemie, Leymarie du 305 R.I. sera accusé de mutilation volontaire et fusillé le 13 Novembre 1914...
Refusant de porter le pantalon de son copain tué devant lui, Bersot du 60 R.I. sera fusillé à Fontenoy pour motif: désobéissance devant l'ennemi...

 

Le Caporal Floch, les soldats Pettelet, Gay, Quinault, Blanchard Durantet, de la 19ème compagnie du 298 R.I., pris au hasard parmi 24 soldats de 2 escouades, sont fusillés pour l'exemple le 4 Décembre 1914.

Ils n'ont pourtant fait qu'obéir aux ordres de leur chef, le Sous-Lieutenant Paulaud.

"Je t'écris mes dernières nouvelles. C'est fini pour moi. J'ai pas le courage. Il nous est arrivé une histoire dans la compagnie. Nous sommes passés 24 au conseil de guerre. Nous sommes 6 condamnés à mort. Moi, je suis dans les 6 et je suis pas plus coupable que mes camarades mais notre vie est sacrifiée pour les autres. Dernier adieu, chère petite femme. C'est fini pour moi. Dernière lettre de moi, décédé pour un motif dont je ne sais pas bien la raison. Les officiers ont tous les torts, et c'est nous qui sommes condamnés par eux. Jamais j'aurais cru finir mes jours à Vingré et surtout d'être fusillé pour si peu de chose et n'être pas coupable. Ca ne s'est jamais vu, une affaire comme cela. Je suis enterré à Vingré..."

Lettre d'adieu de Quinault à sa femme.

 

Dans cette affaire, le conseil de guerre aura simplement suivi les directives du Général de Villaret. Mais l'histoire est parfois bien revancharde. En effet, ce même Général, à 500 mètres du lieu d'exécution, sera grièvement blessé le 11 Mars 1915. Cette même balle allemande arrache l'oeil gauche du Général Maunoury qui terminera sa guerre à Vingré et meurt aveugle en 1923. Il sera nommé Maréchal de France à titre posthume.

Les Généraux Maunoury et Villaret, commandant la 6ème Armée et le 7ème C.A.
Sculpture de la carrière du 1er Zouaves

 

Ecoutons Jean-Luc Pamart évoquer les fusillés de 1914 lors d'une visite guidée de carrière en juillet 2016

 

 

Les six fusillés

JEAN BLANCHARD

Dernière lettre de Jean Blanchard

 

FRANCISQUE DURANTET

Dernière lettre de Francisque Durantet

« Ma chère Claudine.

C’est bien pour la dernière fois que je t’écris, car nous venons de passer en Conseil de Guerre, je ne te reverrai plus en ce monde peut être, nous nous reverrons dans l’autre monde. Car si je meurs ce n’est pas ma faute, mais nous mourrons pour les autres.

Je n’ai rien à me reprocher, j’ai vu l’aumônier et je me suis bien confessé, et le plus malheureux pour moi c’est de ne plus te revoir et ainsi que mes pauvres parents. Ma pauvre amie, il faut donc se séparer nous qui étions si bien unis ensemble, il faut donc nous séparer. Mon Dieu, que va tu faire seule avec les deux petits enfants enfin Dieu te viendra en aide. Ne te décourage pas ma chère amie, si je meurs je meurs la conscience tranquille ; Je n’ai pas fait de mal à personne, si je suis puni, ma punition vient tout simplement d’une bagatelle qui s’est produit par un homme qui a crié : Sauvez vous voila les boches et tout le monde se sont mis en déroute, nous étions 24 et sur le nombre nous avons été 6 qui étaient pris, c’est bien malheureux pour nous, mais enfin c’est notre destinée.

Je te dis bien adieu, adieu et dit bien adieu à toute la famille pour moi, ait bien soin de mes petits enfants.

Je t’embrasse bien des fois, car c’est fini pour moi, et je te dis une autre fois au revoir. »

HENRI FLOCH

Dernière lettre d’Henri FLOCH

 

« Ma bien chère Lucie.

 

Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.

Voici pourquoi :le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands.

J’ai suivi mes autres camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.

Nous sommes passés vingt hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple.

Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans.

Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre…

Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.

Je vais me confesser à l’instant, et espère te revoir dans un monde meilleur.

Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité.

Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout. »

 

PIERRE GAY

Dernière lettre de Pierre Gay


« Ma chère femme,


Le 27 novembre à 3 heures du soir, l’artillerie allemande s’est mise à bombarder les tranchées, pendant deux heures. La première section, qui était à notre droite, a évacué sa tranchée sans qu’on le sache.

Vers 5h30 du soir, nous mangions la soupe en veillant devant nos créneaux, quand tout à coup les allemands viennent par la tranchée de la première section. On nous croise la baïonnette en disant « rendez – vous ! Haut les mains ! On vous fusille ! »

Je me suis vu prisonnier avec un autre de mon escouade. Je saisis un moment d’inattention pour m’échapper. Il y avait un pare-éclats en face de moi. Je me suis jeté en face, au risque de me faire tuer par les balles, et comme je n’ai plus vu de camarade, je suis descendu par la tranchée pour rejoindre ma section et nous sommes remontés pour réoccuper la tranchée.

Le lendemain, tous les officiers et chefs de section étaient bien à leurs postes et nous, pour ne pas être restés prisonniers des allemands nous avons passé en Conseil de Guerre, toute la demi section. Tous les autres ont été acquittés et nous avons été six condamnés qui ne sont pas plus coupables que les autres, mais si nous mourons pour les autres, nous serons vengés par Dieu.

Pardonne - moi bien la peine que je vais te faire , ainsi qu’à mes pauvres parents. Je vais demander l’aumônier pour me confesser. On ne me le refusera pas. Je suis innocent.

Adieu ! je ne sais plus quoi te mettre, moi qui avait tant de choses à te dire. Oh pardonne moi encore une fois, ainsi que mes chers parents. Je n’ai pas peur de la mort puisque je suis innocent du fait qu’on nous reproche."

 
CLAUDE PETELET

Dernière lettre de Claude Petelet

« Chère femme et parents, je vous écris cette lettre pour vous annoncer une mauvaise nouvelle au sujet des prisonniers qu’ils nous ont fait. Nous on s’est sauvé et on croyait se sauver sa vie mais pas du tout je suis appelé devant le Conseil de Guerre avec toute la demi section dont je faisais partie on est six condamnés à mort. Quel ennui pour vous et surtout pour mon petit Jérôme que j’aimais tant, mais je te le recommande, aies en soin autant que tu le pourras et tu diras à ton père que je lui recommande son filleul de faire ce qu’il pourra pour lui puisque c’est fini pour moi.

Mon motif qu’ils m’ont porté c’est pour « abandon de poste en présence de l’ennemi ». Je n’ai toujours pas tué ni volé et celui qui nous a condamné j’espère le voir un jour devant dieu pour moi, j’ai demandé le prêtre, il nous sera sûrement pas refusé et j’espère que je ne tremblerai pas au moment de l’exécution. Ca ne doit pas être un crime en se confessant à ne pas être digne du ciel. Dès que tu auras reçu ma lettre, tu me feras faire un service et tu feras dire des messes, tu inviteras tous mes amis Félix Giraud du Pilard et Mélanie et quand tu vendras à Massomé, tu feras ton possible pour que Mélanie l’achète.

Chère femme je vous invite tous, c'est-à-dire toi, mon père, ma mère et mon oncle à avoir un bon accord ensemble et à avoir soin de Jérôme le reste de vos jours. Je vous le souhaite et j’espère que vous m’accorderez cette faveur. Chère femme, la compagnie demande la grâce pour nous au général mais il ne faut pas compter sur ça, il y en a d’autre. Je fais cette lettre et je la donne à un copain et je lui dis de la faire partir que quand je serai mort. Je termine en vous embrassant tous et en espérant de se revoir dans le ciel il n’y a plus que là que l’on peut se revoir. Il y a beaucoup de pays qui sont avec moi ils diront toujours que ma faute n’était pas grave. Je vous embrasse tous et vous dit adieu. Je regrette. »


 
JEAN QUINAULT

Dernière lettre de Jean Quinault

 

« Ma chère femme.

 

Je t’écris mes dernières nouvelles : c’est fini pour moi. C’est bien triste. Je n’ai pas le courage, je me (illisible). Pour toi, tu ne me verras plus.

Il nous est arrivé une histoire dans la compagnie. Nous sommes passés vingt- quatre au Conseil de Guerre. Nous sommes six condamnés à mort. Moi je suis dans les six et je ne suis pas plus coupable que les autres camarades, mais notre vie est sacrifiée pour les autres.

Ah ! autre chose : si vous pouvez m’emmener à Vallon. Je serai enterré à Vingré.

 Dernier adieu chère petite femme. C’est fini pour moi. Adieu à tous, pour la vie.

Dernière lettre de moi, décédé au 298ème régiment d’infanterie, 19ème compagnie, pour un motif dont je ne sais pas bien la raison. Les officiers ont tous les torts et c’est nous qui sommes condamnés pour eux. Ceux qui s’en partiront pourront te raconter. Jamais j’aurai cru finir mes jours à Vingré et surtout d’être fusillé pour si peu de choses et n’être pas coupable.Ca ne s’est jamais vu une affaire comme cela. Je suis enterré à Vingré !...

Ah !autre chose, si vous pouvez m’emmener à Vallon. »

Dessins de Francis Macard, in Zone Rouge

(avec l'aimable autorisation de l'auteur)

La justice militaire

Article paru en 1996 (Tome 41, page 133 et suivantes)

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE, HISTORIQUE ET SCIENTIFIQUE DE SOISSONS

Denis ROLLAND & Robert ATTAL

"La justice militaire en 1914 et 1915: le cas de la 6ème Armée"

La justice militaire en 1914 et 1915 : le cas de la 6“ armée . Les mutineries de 1917, qui ont failli provoquer l’effondrement de l’armée

En téléchargement ICI (PDF)

Le 5 avril 1925

Le 5 avril 1925 à Vingré, ...

Le 5 avril 1925, un monument à la mémoire des fusillés de Vingré est inauguré sur les lieux mêmes de leur exécution le 4 décembre 1914. Sont présents les anciens combattants du 298e RI. Une souscription a permis l'édification de ce monument orné de plaques avec un inscription qui rappelle le drame, «Dans ce champ sont tombés glorieusement…».

... le 6 décembre 2014, Soissonnais 14-18 déposera une plaque commémorative

que la souscription a de nouveau financé à un siècle de distance, qui s'adresse toujours au passant, mais qui englobe l'ensemble des "fusillés pour l'exemple" et évoque clairement  l'injustice.

Le 4 décembre 2016, la plaque a été mise en place afin d'être découverte en présence des familles des fusillés le 6 décembre 2014.

Artisan tailleur de pierre qui a assuré le traçage des lettres (1 jour de travail)  puis leur incision manuelle (5 jours de travail).


 

 

 

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